Le milieu libertin est-il vraiment sans tabou ?

Pour le savoir, Emma, journaliste qui explore les dessous du Grand Paris coquin, a longuement questionné Pierre Lechat, auteur des « Mille et une nuits d’un libertin ».

Emmanuelle, journaliste et fondatrice du blog Paris Derrière
Jusqu’où les libertins sont-ils capables d’aller ?
Comme leurs ancêtres, contestent-ils l’ordre établi ?
Le milieu libertin est-il vraiment libertin ?
Faire le point nous donne une chouette occasion de mise à nu pour parler sociologie de l’orgie, BDSM, types à poil, mais en chaussettes dans les backrooms, bisexualité de partouze, gang bang de soumis par des dominas et candaulisme avec la femme dans le rôle de la mateuse.
Pour détecter les tabous libertins, encore faut-il bien comprendre de quel milieu nous parlons. Voilà pourquoi j’ai convoqué Pierre Lechat, un beau quadra rencontré lors d’une «soirée». Il a publié cette année un ouvrage pour décrypter ce milieu, Les Mille et une nuits d’un libertin, aux éditions de lui-même, Le Libertin lettré, puisqu’il s’est autoédité grâce à la magie du Net. Je retrouve Pierre au bar de l’Hôtel du Louvre, velours sombre et or, lumière tamisée, ambiance décadence-chic maximum.
Nous voilà fin prêts pour discuter jusqu’à pas d’heure et égrener la liste, assez longue finalement, des tabous libertins sur un ton libre et décontracté. Voici la fidèle retranscription de l’entretien, sans filtre et brute comme le champagne !

Le candaulisme est une pratique sexuelle dans laquelle l'homme ressent une excitation en exposant ou partageant sa compagne à d'autres hommes
Le candaulisme est une pratique sexuelle dans laquelle l’homme ressent une excitation en exposant ou partageant sa compagne à d’autres hommes

LE BDSM

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, le panpan cucul, menottes et boule-bâillon ne sont pas légion en club libertin. Certes, il y a souvent une croix de Saint-André dans un coin, mais elle sert essentiellement de déco.
Pierre Lechat : D’abord, dans ces pratiques, il peut ne pas y avoir de sexe physique. Ça peut être uniquement cérébral à base d’humiliation en one to one. Alors que le libertinage implique une sexualité de groupe. Oui, quand on évoque le BDSM (Bondage, Discipline, Sado-Masochisme) auprès des libertins, on est souvent regardé d’une façon un peu bizarre. Les gens ne sont pas tous à l’aise avec ça. Même parmi ceux qui sont tentés, beaucoup n’osent pas. Or, c’est du théâtre, il y a des garde-fous. A tout moment, on peut dire stop. Le BDSM est un milieu en tant que tel, distinct et peut-être un peu plus intello ou du moins cérébral, même s’il est poreux avec le libertinage.
Et vous incarnez cette porosité, vous pratiquez libertinage et BDSM, fromage et dessert…
J’ai la chance d’assumer. J’appartiens à la minorité dans la minorité, c’est celle des switchs, j’aime être tour à tour soumis et dominant.
Et là aussi, vous pratiquez les deux ! Décidément, vous mangez à tous les râteliers…
Exactement ! Ce serait dommage de s’en priver ! Et puis, les bons maîtres font les bons esclaves. Une fois, une domina m’a fait mettre torse nu pour me donner des coups de martinet devant tout le monde en plein cocktail d’accueil avant la partouze. Elle savait comment faire pour qu’il n’y ait aucune marque. Puis, je me suis rhabillé et je suis retourné discuter avec les convives que je venais de quitter comme si de rien n’était. Je n’ai aucun complexe.

LA BISEXUALITÉ MASCULINE

Tabou ? Pas tabou ?
Oui, c’est tabou. Ce n’est d’ailleurs pas vraiment de la bisexualité en tant que telle. J’appellerais ça de la bisexualité de partouze. Des hommes qui peuvent avoir des penchants de ce style ne sont même pas bi. Il ne leur viendrait pas à l’idée d’avoir un rendez-vous galant avec un mec et une liaison sentimentale. Au même titre que les femmes qui couchent ensemble dans le cadre libertin ont rarement de vraies histoires entre elles. Et quand elles pratiquent, il y a souvent des hommes à proximité. Mais il y a une asymétrie : personne ne s’offusque que ces dernières couchent ensemble devant tout le monde, alors que les femmes elles sont moins émoustillées par le fait de mater leur conjoint avec un autre homme.
Ça vient des femmes, selon vous ?
Ça vient des deux. Pour certaines, c’est insupportable et elles estiment que leur homme en perdrait sa virilité. Pour d’autres ça ne les fait pas fantasmer plus que ça, sans crispation particulière. Une minorité adore. Parmi elles, certaines demandent avec un petit air mutin : «Alors, est-ce qu’il reste encore des terra incognita ?» Mais elles demandent à d’autres hommes, pas au leur.
C’est un peu le pendant du mec qui fait des choses crades avec sa maîtresse mais pas avec sa femme. Non ?
C’est un peu ça… Ce que j’explique dans mon bouquin, c’est qu’il est normal que les femmes aient envie de se tripoter. Le corps féminin, c’est la beauté, la grâce et l’esthétique. C’est le point de vue de toute notre civilisation occidentale.
Faut pas charrier, quand une femme pète au lit, aussi canon soit-elle, y’a rien de gracieux ! Vous êtes certain que ce n’est pas une construction sociale, cette histoire-là ? Une construction liée à la représentation artistique et médiatique. Quand on regarde dans les arts et la peinture en effet, le corps féminin est magnifié et beaucoup de peintres ont représenté des modèles nues ensemble, de Renoir (etc.). parce que ces peintres étaient des mecs. Citez-moi une femme qui a peint, photographié des hommes nus à part Patty Smith ?
Effectivement, je ne vois pas. J’ai beau chercher, ni Mme Vigée Lebrun, ni Marie Laurencin…
C’est pour ça que nous avons l’habitude de dire que les femmes sont belles et les hommes moches. Il faudrait qu’il y ait davantage d’artistes femmes qui posent leur regard sur la beauté masculine. Et puis, les femmes aiment bien mater les mecs à poil, je vous le garantis !!!
Oui mais c’est sexuel, pas esthétique. Je ne dis pas qu’un homme est forcément laid, mais ce qui est attendu d’un homme, c’est la puissance, pas la grâce.

Est-ce que ce ne sont pas les mecs qui imposent leur désir de voir des femmes ensemble ? Un fantasme hétéro beauf…
Franchement, si elles le font c’est qu’elles y trouvent leur compte. Pour ce qui est des hommes entre eux, ça arrive que ceux que cela travaille tentent une pipe sur un autre plus ou moins par surprise. Après, ce dernier se dégage ou laisse faire ! J’en ai vu en soirée privée. Mais c’est extrêmement rare. C’est un vrai tabou.
C’est dommageable ? A l’heure où on parle sans cesse d’égalité…
Les hommes qui ont envie d’essayer, essayent tôt ou tard. Ce n’est pas une inégalité, c’est une asymétrie, qui caractérise le milieu d’une façon générale. Je vais d’ailleurs sans doute vous choquer, comme aussi certains courants féministes, mais le milieu libertin est entièrement dominé par les femmes, c’est très clair.
Ouh ! Là ! Là ! Je suis sous le choc, en effet !

LE PLAISIR ANAL MASCULIN

Quand on pose la question à un homme, de prendre un doigt dans le cul pendant une fellation, ou se faire prendre au gode ceinture par une femme, il répond : «Non surtout pas, je passe mon tour », parce qu’il assimile encore ça à de l’homosexualité. Alors que ça n’a strictement rien à voir.
En effet, quand une nana met un gode ceinture, sa voix change, ses seins tombent. C’est la panique !
Le trou du cul d’un homme et celui d’une femme sont assez semblables d’un point de vue neurologique. Il existe des hommes comme moi, parfaitement hétéros et qui aiment ça. Il faut juste tomber sur une dame qui sait s’y prendre.

POUR UN MEC, ÔTER SES CHAUSSETTES DANS LES BACKROOMS

C’est une malédiction ! Il y a tellement de mecs qui gardent leurs chaussettes dans ce qu’on appelle pudiquement les coins câlins, c’est-à-dire la zone où ça nique, que le tabou serait de les enlever. C’est le top de l’érotisme tous ces types tout nu, juste avec leurs putains de chaussettes !
Ce n’est pas un tabou mais une hérésie ou au moins une faute de goût. Même si c’est un Apollon ou un athlète, c’est ridicule ! Et il y en a encore trop !

LES TRAVESTIS ET TRANSSEXUELLES

Tabou, pas tabou ?
C’est un vrai sujet. Je n’en ai jamais vu en soirée privée, seulement deux ou trois en club, toujours les mêmes d’ailleurs, mais attention, les créatures semblaient sans équivoque : 1 mètre 90, pomme d’Adam… Ce n’est pas bien vu. Le milieu libertin est très normatif.
Le problème c’est qu’une fois dans les backrooms, des mecs tapent des scandales lorsqu’ils s’aperçoivent qu’il y a anguille sous roche.

L’URO

Ça peut se faire dans la douche des clubs. Mais en petit comité à l’écart. Il n’est pas rare que les donneurs ou donneuses fassent un blocage psychologique. Pour faire pipi sur quelqu’un, il faut se concentrer car nous ne sommes pas conditionnés pour ça. Ça se pratique plutôt dans l’intimité et entre des gens d’un certain âge. Ça se fait un peu plus dans le milieu BDSM.
Le milieu BDSM serait donc un peu plus ouvert ?
Oui ! Bon, attention, il y a de l’intégrisme SM. Par exemple, dans les donjons où les relations sexuelles sont interdites. Même au sein des libertins, vous avez différentes chapelles, je pense aux « mélangistes » et aux « côte-à-côtistes » qui viennent vous dire que « les partouzes c’est dégueulasse. »
Traduction des mots barbares…
Les « mélangistes » sont des gens qui n’ont de rapports sexuels qu’au sein du couple, ils caressent les autres avec les mains, sans pénétrations et sans rapports bucco-génitaux. Peut-être pas de baiser non plus, mais n’étant pas de ce courant-là, je ne veux pas dire de bêtise.
Courant ? On se croirait à un congrès du Parti socialiste. Les « côte-à-côtistes » ? Rien à voir avec les Pentecôtistes ?
Non ! Pour un couple c’est juste baiser à côté d’un autre ou d’une orgie, sans aucun contact. Ils passent pour des non-libertins auprès des libertins et pour des détraqués auprès de l’extérieur, bref, c’est perdant perdant ! Dans mon livre, je qualifie ça de libertinage bio, sans gluten. Du coup moi, par rapport à eux, je suis « pénétrationniste » !
C’est aussi une façon d’approcher tout ça tranquillement. Non ? Vous croyez qu’il faut absolument se jeter direct à poil dans la partouze ?
Oui, pour rentrer dans l’eau froide, faut y aller direct !

Et vous, quelle est votre chapelle ?
C’est le canal historique mainstream : depuis presque 15 ans, avec ma femme, nous faisons de l’échangisme, des partouzes avec une large palette de pratiques. J’apprécie le BDSM, j’aime me faire dominer. Ma femme, ce n’est pas du tout son truc mais elle est très tolérante sur ce point. Elle m’a même fait une charmante surprise. Un jour, elle m’a livré à 3 dominatrices qui m’ont en quelque sorte gang-bangué. Quel pied ! Et mon épouse a assisté à la scène en buvant le thé avec une amie. Inoubliable ! Je recommencerai volontiers.
Vous pensez que si dans le prochain Fifty Shades, il y avait la golden shower, ça se démocratiserait ?
Peut-être ! Ben, je vais l’écrire ce livre et ce ne sera pas de la romance ! Et puis il y a des techniques.
Faut s’exercer sous la douche, en plus c’est plus écologique que de tirer la chasse !!!
L’argument est imparable !

LES FEMMES CANDAULISTES

Le candaulisme : pratique où dans un couple, le plus souvent la femme a des relations sexuelles avec un ou plusieurs hommes devant son conjoint. C’est très courant et depuis quelques temps, sans être vraiment libertin, il est de bon ton à Paris, de s’adonner aux joies du candaulisme au moins une fois dans sa vie. Une chose est sûre, difficile d’être libertin sans être candauliste. Ce terme provient de la légende du roi Candaule, personnage mythologique qui avait pour passion d’offrir à d’autres son épouse. Mais Pierre, remarquez qu’il est beaucoup plus rare de voir la scène à l’inverse, une dame qui regarde son mari avec une autre.
Déjà, le problème c’est qu’il est beaucoup plus difficile pour un couple de rencontrer une femme seule qu’un homme seul, du fait que les libertines sont moins nombreuses que les libertins. Avec ma femme, ça arrive que nous faisions « partouze à part », mais dans la même pièce. Du coup, ma femme peut me voir avec d’autres femmes.
Disons que votre femme le pratique, alors qu’elle se trouve elle-même entre une fesse et une couille… Pourquoi pas, après tout…
Après, le candaulisme implique peut-être un peu plus d’organisation. C’est vrai que les nanas sont plus rarement candaulistes. Il est plus courant de voir le type qui ne quitte pas son costard de toute la soirée pendant que sa chérie s’envoie tout le monde. Mais je connais quelques femmes qui adorent voir leur mari s’ébattre avec une autre mais toujours avec une dimension BDSM, genre Madame la Maîtresse livre une soumise à son mari. Beaucoup plus rare, j’ai vu une fois une femme se faire humilier sous forme de jeu théâtral par son mari et la pièce rapportée.

Pourtant, ce genre de scénario est légion chez une partie des hommes candau hardcore avec toute l’imagerie de l’amant black à grosse queue, censé être supérieur au cuckold (cocu).
Vous connaissez tout ça à fond Emma, bravo !
C’est normal ! Je suis bien obligée ! Après les gens se plaignent que les journalistes ne connaissent pas la matière !
Et puis, c’est plutôt sympa comme terrain d’investigation. Pour ma part, ça m’amuse beaucoup. Il y a quelques mois, j’ai été interviewé par rapport à ma profession exactement ici, à la table où nous sommes. C’était nettement moins comique ! Évidemment dans mon métier, personne ne connaît ma vie libertine. Mes collègues me prennent d’ailleurs pour un type assez terne, genre « peine à jouir ». En fait, j’aime bien avoir une double vie. Le personnage d’Arsène Lupin me fascinait quand j’étais gosse. Son créateur Maurice Leblanc avait une plume extraordinaire, un style pure, un lyrisme épique et avait le don d’intégrer la fiction dans la grande Histoire. Et puis surtout, son personnage est complètement insaisissable. Il est sans arrêt en train de se déguiser et possède une foule de pseudonymes, comme les libertins.
En tous cas, vous pouvez dire à vos collègues que pour l’anniversaire de votre femme, vous l’invitez à un « dîner aux Chandelles ». Ce n’est pas mentir…
Oui, c’est clair. Se marrer intérieurement, il n’y a pas plus grand plaisir. Courteline disait « il n’y a pas de plus grande jouissance que d’être pris pour un sot par des imbéciles. »
Ça vous choque que les libertins aient des interdits ?
Non c’est normal. Ce qui est grave, c’est de se priver de quelque chose qui vous ferait plaisir, alors que ça ne nuirait pas aux autres, alors que ça leur ferait même plaisir. Par ailleurs, le libertin a le droit de ne pas avoir envie. Contrairement à ce que pensent beaucoup d’imbéciles, les libertines font ce qu’elles veulent et ne se tapent pas automatiquement le premier venu. Dans mon livre, j’évoque longuement cette histoire de préjugé qui veut qu’une femme qui aime le sexe soit une traînée, une mauvaise personne. Ces idées reçues sont encore très présentes dans l’inconscient collectif sous l’influence de la culture judéo-chrétienne et des religions du Livre en général. Le chaos arrive toujours par la faute de la femme, à commencer par le renvoi de l’Eden, ce qui est hallucinant !`

Ces croyances baisent tout le monde. Les hommes souffrent de misère sexuelle. Et les femmes ont peur du sexe. C’est probablement pour cette raison qu’il y a moins de libertines que de libertins. Du coup, ces derniers étant en surnombres, ils payent plus cher l’accès aux soirées.
Dans les anciennes religions européennes, par exemple celles issues de la culture celtique, nées sous des latitudes tempérées, il y a une harmonie et une mesure entre la nature et l’homme, la place des femmes est beaucoup plus équilibrée, dans les mythes et dans la société. Par contre, dans les religions du désert, nées dans une nature oppressive, sous un soleil oppresseur, on a affaire à un dieu vengeur qui menace l’humanité des pires châtiments et catastrophes si elle s’écarte des préceptes qu’il a édictés. Dans un tel contexte, c’est sûr que la place de la femme n’est pas très enviable.
Le milieu libertin est-il vraiment libertin ?
« Libertin » n’a jamais voulu dire sans tabou, ni libertaire. Le milieu a ses normes, les libertins ne sont pas des gens no limit, ce sont des êtres humains comme les autres. Et puis, les pratiques sont hyper cadrées. Il n’y a pas de liberté sans règles. Donc oui, les libertins ont des limites ! Il y a des choses qu’ils n’admettent pas. Moi je l’avoue, mon libertinage n’a jamais rien transgressé, je ne revendique rien à travers cela, je ne me sens pas rebelle. Après, certains ne se sont jamais remis d’avoir piqué du chocolat dans le placard de grand-mère, et briser les interdits les excite. Mais pour moi, quand j’ai commencé, je n’ai rien ressenti de tel, j’étais plutôt dans l’état d’esprit d’un gamin à qui on aurait offert la maison géante en Légo.

Est-ce que le libertinage transgresse encore, alors que tout est permis et que l’on a remplacé la religion par la consommation ?
Bah non, il ne transgresse plus puisque par définition, les libertins consomment, dans tous les sens du terme, même si nous le faisons avec style. Pas obligé d’arriver direct la bite à la main. Le libertinage implique quand même une recherche esthétique selon moi, il faut que ce soit beau. Et puis, il y a un désir d’universalité pour un homme qui peut dire, du moins symboliquement : « j’ai fait l’amour à toutes les femmes » et pour une femme « j’ai fait l’amour à tous les hommes ».
Ça rejoint plutôt la communauté hippie…
Oui, c’est peut-être un peu panthéiste sur les bords ma théorie… Je n’y connais rien en philosophie orientale mais il y a une dimension mystique de la chose. Après, j’apprécie un côté très prosaïque, l’aspect anti-dépresseur et déstressant. Une SDM (semaine de merde) au boulot, on oublie tout dans la partouze, ça régénère, c’est comme le sport. Il y aussi une convivialité d’une forme supérieure, car il y a don de soi, vous êtes obligé de vous livrer, il n’y a pas de tricherie.

LE LAISSER-ALLER

Dans votre livre, vous insistez sur le fait que le libertinage implique une certaine esthétique.
C’est important de se maintenir, de ne pas être trop relâché, par respect des autres et de soi-même. Il faut être quand même un peu dans le contrôle. Olivier de Kersauson disait : « il y a deux choses dont nous ne sommes pas responsables, c’est le nom qu’on porte et la gueule qu’on a. Par contre, s’il y a une chose dont on est responsable, c’est la gueule qu’on fait. »
L’idée, c’est davantage d’afficher un bel équilibre plutôt que de s’enfermer dans la salle de muscu ou se faire liposucer les fesses.
C’est exactement ça ! L’excès est nocif en toute chose, y compris dans les partouzes !
Contrairement aux croyances, le libertinage regroupe tous les âges et tous les corps.
En soirée, il y a parfois des hommes qui vont snober une femme qui est moins bien que les autres. Mais les femmes moins belles peuvent avoir quelque chose de touchant et de sexy. Très récemment, j’ai vu un abruti sans doute plus bête que méchant, faire à une fille une réflexion désobligeante. Elle s’est mise à pleurer. Avec un autre homme, nous nous sommes occupés d’elle. Ce n’était pas une belle femme mais son plaisir était touchant et ce fut un très agréable moment pour tous les trois. Après, tout le monde, y compris les hommes, a le droit de choisir mais un homme n’ose pas trop mettre de râteau à une femme d’abord parce que les libertines sont moins nombreuses. Eh oui ! L’appel de la forêt, certains hommes affamés et uniquement mus par leur instinct ont parfois tendance à tirer sur tout ce qui bouge… Mais aussi parce que ça ne se fait pas trop. S’il ose, il risque de passer alors pour un goujat, un salaud, un impuissant voire un homosexuel. La seule solution, face à une dame qui ne plaît pas, c’est de prendre la tangente discrètement.
Du coup, est-ce que les hommes se forcent parfois ?
Oui, il y en a plus qu’on ne le croit. Mais moi, ça ne m’est jamais arrivé. A chaque fois que j’ai approché une libertine, c’est parce que je lui trouvais quelque chose d’attirant, de sexy et je n’ai jamais regretté.

LES POILS

Je suis incollable suite à ma web série Poilorama sur le site d’ARTE Créative. Chez les libertines, le Mont de Vénus est ratiboisé. La tondeuse fait aussi partie de la panoplie des hommes libertins bon teint…
Le milieu libertin est anti-poil. Concernant les hommes, je trouve ça plus respectueux vis-à-vis d’une femme de lui tendre un sexe avec pas trop de poils dessus, c’est quand même plus agréable pour la langue. J’ai vu des dames commencer une fellation, puis repousser l’homme parce que pas correctement épilé. Les poils sont souvent rêches et retiennent pas mal d’odeurs, notamment la transpiration, ce n’est pas terrible.
Du côté des femmes, même constat. Dans mon livre, il ne vous a pas échappé que je suis un fervent adepte du cunnilingus, voire un fanatique, à tel point que je risque bien un jour de mourir du fameux cancer de la gorge, médiatisé par Michael Douglas. Dans le cunni, le gros du travail se fait avec la langue. Dans ce cadre, les poils, c’est perturbant. L’épilation fait partie de l’entretien. Après, c’est sûr, certains hommes fantasment sur les toisons fournies. Dans la pornographie, il y a une niche « Hairy » pour les amateurs.
Les amateurs de moquette, à la niche !
Il ne faut pas aller jusque-là, mais ce n’est pas le goût majoritaire. Il y a l’excès inverse, les filles qui se précipitent chez l’esthéticienne dès qu’il y a quelques poils. Ce n’est pas sous la pression des hommes, ce sont les canons de beauté de l’époque qui nous influencent tous, même les esprits les plus indépendants d’entre nous. Il est excessif de dire que tout ça vient de la pornographie avec des relents de pédophilie.
Monsieur Lechat a-t-il des poils ?
En effet, pas de fourrure au niveau du service trois pièces, ni des aisselles d’ailleurs si vous vous voulez tout savoir ; là, on bascule vraiment dans la confidence ! Mais vous avec votre web série, vous êtes pro-poil ?
Pas vraiment. Nous avons cherché à savoir pourquoi nous nous épilons, les raisons inconscientes et il y en a un paquet : l’association à la saleté, la peur de la sexualité féminine, la mode et le diktat du lisse dans les médias entre autres…
LES FEMMES FONTAINES
Moi, j’adore ! Mais elles peuvent être facilement gênées et appréhender la réaction des hommes. Il y a aussi cette peur d’être prises en défaut dans une jouissance où elles perdent tout contrôle. En outre, elles craignent que ce soit confondu avec de l’urine. Les hommes aiment bien voir le spectacle mais ceux qui veulent se mettre dessous sont beaucoup plus rares.

LES RÈGLES

C’est un peu la même problématique en plus trash ! Combien de fois ai-je vu des libertines, dépitées de ne pouvoir sortir à cause de ça.
Il y a un aspect physique immédiat et c’est peu ragoutant. Pour certaines, c’est douloureux. Et puis, il y a la peur de la transmission de maladies. Hommes et femmes sont mal à l’aise avec ça. Il faut dire qu’il y a un tabou religieux. Dans les religions du Livre, la femme en menstrues est impure.
Oui, mais bon, au regard de ces religions, la libertine est impure, ragnagna ou pas. Alors foutu pour foutu… pourquoi se priver !? Ensuite je peux comprendre que l’on n’ait pas envie de baiser, mais enfin, il y a d’autres pratiques possibles : pipes, sodomies, caresses, etc.
Si des femmes se censurent, d’autres sortent pour accompagner leur conjoint quand même et s’autoproclament « préparatrices », comme ma femme ! Voire simplement pour profiter de l’ambiance et de la convivialité du moment.
Préparatrice ! Comme dans le sport ! Excellent ! L’important c’est de participer !
Elles se contentent de faire des fellations à des hommes pour qu’ils soient bien prêts pour la copine qui en profitera.
Que serait le libertin sans sa femme ???
Un slip sans élastique ! Ou le Barça sans Messi !

LA SCATO

Je n’ai jamais vu faire, ça reste un tabou absolu. Certains doivent fantasmer dessus quand même. Rien à voir mais il y aussi parfois des pertes fécales de certaines dames pendant la sodomie, cela peut arriver même après toutes les précautions prises (lavements, etc.). Quand ça arrive, elles sont plus gênées que les hommes. Je comprends que ce ne soit pas une situation très confortable.

LA DROGUE

Le milieu libertin n’est pas très branché drogue.
Évidemment ! Le libertin doit garder le contrôle de soi en toutes circonstances, la drogue n’aide pas, ni pour la performance. Et puis, même s’il est vrai que nous sommes moins réprimés par la maréchaussée que jadis, le milieu reste relativement surveillé et nous n’avons pas besoin d’attirer l’attention sur nous. Je n’en ai jamais vu de ma vie que ce soit en club ou en soirée privée. Ce n’est pas un tabou, c’est juste une connerie, on n’en veut pas !
Et l’alcool ?
Moi, je ne bois pas une goutte d’alcool. Les femmes peuvent se permettre de boire un peu plus que les hommes, toujours pour des raisons de performance. Mais j’ai rarement vu des gens saouls. Ce sont plutôt des dépressifs qui pensent régler leurs problèmes en allant dans une partouze, grave erreur !
Le libertin est-il fêtard ?
Pas tant que ça. Nous n’aimons pas la musique à bloc et l’agitation autour de tables encombrées de bouteilles d’alcool comme dans les boîtes de nuit traditionnelles. Certaines soirées peuvent être plus festives que d’autres, mais elles se terminent relativement tôt. C’est quand même très physique, le sexe en plus de la danse !

L’AMOUR

Soyons précis. Avec le conjoint, c’est normal bien sûr. Quand des libertins célibataires se rencontrent et décident d’entamer une relation au-delà du libertinage, aussi. Par contre, lorsqu’il y a, au delà du couple, des atomes crochus qui terminent en sentiments amoureux, là, il y a un gros problème. Même chez les couples les plus libéraux, ça ne passe pas. Pour nous, ce serait très compliqué.
Vous, après la partouze, vous rentrez avec votre femme, seulement tous les deux. Les polyamoureux comme on dit maintenant, ils rentrent à 3 à 4 etc… Ça doit gérer en continu. Ce sont les nouveaux aventuriers.
On choisit d’être libertin mais on ne choisit pas d’être polyamoureux, je pense. On l’est ou on ne l’est pas. Nous avons un couple enfin un trouple d’amis dans ce cas, c’est très compliqué à gérer. Les polyamoureux ne sont d’ailleurs pas forcément libertins.

LA FAMILLE

Quand on est libertin, et qu’on a des enfants ado, on a peur que d’une chose, c’est qu’ils découvrent le pot aux roses. Les gamins vous posent alors des questions sur ce que vous faisiez jeunes, les questions sont très directes. La génération de maintenant est mieux lotie que la nôtre je pense. Les jeunes sont moins coincés avec ces préjugés, mais manquent aussi de recul notamment vis-à-vis du numérique.
Ils connaissent beaucoup de choses aujourd’hui avec internet.
Mais ils ont quand même leur pudeur et leurs limites. Je déplore l’éducation via le X gratuit. Une fois, un de mes enfants est tombé sur un truc trash chez des copains, genre « Une pour huit, huit pour une », je n’allais pas l’engueuler comme un père la pudeur mais je l’ai rappelé à l’ordre : « ce ne sont pas des images pour ton âge. La sexualité ce n’est pas ça. Donc évite ! » Je l’ai prévenu sans l’engueuler, sans engendrer de honte du style « c’est sale !«, il n’y aurait rien de pire pour faire un tordu !
La hantise, rencontrer un de vos enfants en soirée !
Je connais quelqu’un qui un soir, a croisé son père…

LES FEMMES ENCEINTES

La grossesse est souvent un calvaire pour les libertines, car elles sont interdites de plan cul.
Chez certaines femmes, la grossesse décuple le désir. Mais je n’en ai jamais croisé dans le milieu. J’ai juste surpris une fois la conversation téléphonique d’un patron de club refusant une femme enceinte. Pourtant, dirigeant un tel établissement, ce tenancier que je connais bien en a vu des vertes et des pas mûres. Mais il était blême en raccrochant le téléphone. Les libertines enceintes prennent toutes un congé maternité, pas seulement dans le cadre professionnel !
D’où ça vient ?
P : Peur des maladies pour le bébé et surtout l’image de la femme comme mère, qui ne peut pas être une bête de sexe.
Le sexe féminin est le lieu du maternel et du sexuel. Et ça provoque, pour les hommes comme pour les femmes, un malaise.
C’est une terreur sacrée, un vrai tabou !

LES PROSTITUÉES

Ça casse tout, ça gâche tout. Ça fait fermer les clubs pour proxénétisme. Les établissements sérieux font très attention. Et puis, c’est anti-libertin au possible et ça se voit. Ça rebute les autres clients. Le mec a payé une prostituée pour l’accompagner en club. La jeune femme très belle, noire ou de l’Est avec un vieux bedonnant. L’absence de complicité est criante.
Il parait que ça casse la symétrie chez les échangistes. Du coup, la prostituée risque de partir avec l’homme du couple en face. Les libertines, ça leur fait peur.
Et puis, c’est anti-érotique. Dans le libertinage, on vient pour le plaisir et le don. Dès qu’il y a un rapport d’argent, ça pourrit tout.

LES JEUX DE SALIVE

Dans les rapports, le fait de se cracher dans la bouche, oui, c’est très sympa. Mais peu le font.
C’est peut être trop intime ? La peur du microbe ? L’hygiénisme ?
Peut-être pour certains, mais surtout c’est quelque chose de symboliquement assez fort, même violent. Alors que c’est extrêmement excitant. Je me souviens encore de la charmante inconnue qui m’avait fait découvrir ça… Ça m’a beaucoup ému…
Vous en avez encore les yeux qui pétillent…
Je le raconte dans mon livre, une femme était sur moi. Elle me pince le nez, j’ouvre la bouche, elle crache dedans; et elle me met une bonne baffe pour me la refermer ! Quand elle a repris ses esprits, elle s’est excusée. Je lui ai répondu : « mais pas du tout, au contraire ! »
La salive, c’est plus tabou que le sperme ou les secrétions vaginales ?
Oui, c’est étrange alors que la salive passe par la bouche, le reste passe ailleurs…

LES HANDICAPÉS

C’est un vrai tabou. Il est très rare d’en croiser. J’en ai vu quelques-uns au Cap d’Agde. Ce sont plutôt des gens mutilés, plus souvent des femmes que des hommes. Pourtant, ces personnes ont une sexualité, comme tout le monde. Mais ça doit être très compliqué de sauter le pas, comme pour ceux en face.
Dans le BDSM, il y en a davantage. Le handicap devient un argument d’esthétique, façon Crash de Cronenberg. Il faudrait une soirée libertine qui s’ouvre aux handicapés. Non ?
Je trouve ça gênant d’avoir envie de se taper quelqu’un pour son handicap. Ça fait quota. Ce problème est complexe mais n’oublions pas que nous sommes tous des handicapés potentiels. Ça peut arriver à tout le monde.

LA BAISE SANS CAPOTE

Vous en parlez dans votre livre, depuis quelques années, il se pratique des gang-bangs sans capote, du bareback en fait. A la demande du couple, évidemment.
C’est un tabou qui doit le rester. Oui, c’est une minorité mais ça existe. Un risque notable pour un bénéfice minime. C’est vrai que les capotes, ça casse un peu l’ambiance. Le coup de dent pour déchirer l’étui, puis écarter la capote pour se l’enfiler et la dérouler. C’est un désagrément mais pas majeur. Prendre le risque de maladie vénérienne, voire du SIDA, ça n’en vaut pas la chandelle.
C’est quoi le trip du bareback chez les libertins ?
C’est le goût de la prise de risque. Et puis le délire de certaines femmes de se faire remplir. J’ai vu des hommes qui essayent frauduleusement de ne pas mettre de capote. Mais ils se font sèchement rappeler à l’ordre soit par la femme soit par son mari ou encore les hommes autour. Moi une fois, je m’apprêtais à pénétrer mon épouse sans capote, un type m’a dit : »Eh toi ! Qu’est-ce que tu fais ??? » Ma femme : «non, mais c’est mon mari ». Le type : « Oh! Excusez-moi ! » Plutôt rassurant, non ?
J’ai une copine qui préfère mettre elle même les capotes. Comme ça au moins, pas de danger ! Ça lui permet de faire les comptes aussi… Bon, ce que je constate c’est qu’en 15 ans de pratique, nous n’avons jamais chopé de maladie. Il y a plus de discipline chez les libertins qu’ailleurs, sinon ça ne pourrait pas fonctionner.

Est-ce qu’il y a une tendance à l’entre-soi social ?
Dans les clubs, il y a un brassage même si l’accès est onéreux sur Paris. Et puis avec Internet aussi. Une bourgeoise de 50 ans en pleine forme peut fantasmer sur un jeune pompier… Mais c’est dans une certaine limite.
Vous le regrettez ?
Ce n’est pas tant de sélectionner les gens sur l’épaisseur de leur portefeuille. Il y a des gens favorisés imbuvables, y compris dans le milieu libertin. Et quand on peut écarter des gens vulgaires et grossiers, ce n’est pas plus mal.
Est-ce que le libertinage c’est plouc ?
À Paris, les libertins sont classes. Ça dépend des clubs.

LA POLITIQUE

Le libertinage, c’est de droite ou de gauche ?
Tout l’échiquier politique est probablement représenté même si on n’en discute jamais en soirée, ça reste un sujet qui fâche, donc on évite. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a un mélange étrange d’anti-fiscalistes qui se plaignent de payer trop d’impôts et de communisme sexuel, parce qu’on partage tout.
Enfin, tout le monde n’est pas à égalité dans la partouze…
Oui, ce sont les femmes qui décident. Leur consentement est central et elles ont plus de capacités sexuelles que les hommes. Un mec pourra jouir 5 ou 6 fois grand maximum alors qu’une femme, c’est quasi infini ! Idem pour le nombre de partenaires en une soirée.
Bon alors, plus de droite ou de gauche les libertins ?
Si on faisait un sondage, on aurait en gros la même répartition que chez les autres.
Pourtant, échangiste, libre-échange, donc droite libérale non ?
Oui, enfin, on peut dire aussi que vous êtes un partageux, comme au XIXème siècle. Est-ce que le libertinage ne peut être le fait que de gens dominants ou du moins aisés ? Vouloir mettre le libertinage dans une case, c’est compliqué vu qu’il est assez octogonal.

Dans le contexte actuel assez anxiogène, chômage, terrorisme… le libertinage ne serait-il pas finalement une bulle d’insouciance ?
Oui, ce sont les mots justes, bulle d’insouciance, une respiration. Il y a un côté très enfantin, on joue, on se rebaptise avec des pseudos, les libertines se déguisent en fée sexy, les clubs et soirées privées sont les seuls endroits où elles peuvent porter de telles tenues. Après une semaine difficile, c’est l’évasion !

Laboratoire Biologiquement

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